L’effet Barnum

Il y a quelques années, j’étais assis à table avec mes trois filles, et j’ai décidé de faire une expérience. Oui ! Je fais des expériences sur mes enfants… Si ça te pose un problème, appelle la DDASS !

Donc mes trois petites princesses (6 ans, 8 ans et 9 ans à l’époque) étaient en train de dîner avec moi, lorsque tout en fermant les yeux et en prenant une profonde inspiration, j’ai prononcé :

– Ma fille, je t’aime !

Dans les deux secondes qui ont suivi, mes trois filles ont répondu, presque à l’unisson :

– Moi aussi, je t’aime papa !

Étrange n’est-ce pas ? Pourquoi aucune des trois ne m’a demandé à qui je m’adressais avant de répondre ?

Facile ! Chacune de mes filles a senti que je m’adressais à elle !

On appelle ça l’Effet Barnum

l’Effet Barnum

L’effet Barnum consiste à se sentir personnellement concerné par une communication qui s’adresse à un groupe, voire une foule. Beaucoup d’orateurs utilisent des techniques pour accentuer l’effet Barnum.  Par exemple, si je disais ceci :

Tu as un potentiel immense, mais tu ne parviens pas à l’exploiter à cause de contraintes quotidiennes ! Tu manques de temps pour Devenir… Le monde dans lequel nous vivons n’est pas fait pour les gens libres et inventifs comme toi. Pour te faire une place dans ce monde injuste, dirigé par des incompétents, chaque jour est une lutte… Courage !

 

Ça touche ! Je peux prononcer ce discours devant des milliers de personnes, beaucoup de gens se reconnaîtront, et chacun aura l’impression que je m’adresse à lui.

Est-ce qu’un bon orateur qui maîtrise l’Effet Barnum peut faire passer n’importe quel message ? Eh non ! C’est une question de Coût Psychologique… Franchement ce que je t’ai écrit ci-dessus, c’est hyper-gratuit ! Tous les charlatans savent utiliser ce type de discours…

Rupture d’effet

Imaginons la même scène qu’au début : lors du dîner familial, je ferme les yeux, et tout en inspirant profondément, je prononce :

– Ma fille, après le dîner, toi et moi, on va débarrasser la table et faire la vaisselle !

Au mieux, mes trois filles vont se regarder bizarrement, et la première qui craquera me lâchera :

– Mais à qui tu parles papa ?

Au pire, j’obtiendrai un profond silence, car chacune se dira que l’une de ses sœurs va se sentir concernée, et sauvera l’honneur de la famille…

Tu remarqueras que dans cette deuxième expérience, j’utilise exactement la même technique qu’au début, et pourtant l’Effet Barnum sera moindre. Voilà qui démontre que dans ce processus manipulatoire (comme dans beaucoup d’autres), le manipulé n’est pas une simple victime de la manipulation. Il y participe !

Un jeu plus sérieux qu’il n’y paraît

L’Effet Barnum est présent partout. Beaucoup de personnes se sentent stimulées par l’idée qu’on s’adresse à elles, alors que représenter 1,15% d’une population n’est pas stimulant. Les technologies proposent des outils pour renforcer l’Effet Barnum. Par exemple, lorsque je t’envoie un e-mail pour t’inviter à découvrir la publication du jour, je commence par te dire «Bonjour» et j’enchaîne avec ton prénom. J’utilise une application dans laquelle j’écris «Bonjour {{prenom}}», et elle personnalise chaque courrier au moment de l’envoi. Si tu t’appelles François, tu reçois «Bonjour François». Voilà qui peut créer un bel Effet Barnum…

Que faut-il penser de cette pratique ? Ne serait-il pas plus honnête de dire «Bonjour tout le monde !» et de m’adresser au groupe ?

Eh bien, il y a principalement 2 types de réacrtions. On va les nommer le type Roméo, et le type Juliette, comme ça personne ne se sentira visé…

  • Le type Roméo affiche un sourire en coin, en voyant son prénom. Il se dit qu’il n’est pas dupe, et que ma tentative de lui faire croire que je n’écris qu’à lui est bien vaine…
  • Le type Juliette lit «Bonjour Juliette» et a envie de répondre «Bonjour Stéphane» dans sa tête. Après quoi, Juliette lit mon courrier comme si je m’adressais à elle, et à elle seule…

La différence entre Roméo et Juliette n’est pas une question d’intelligence ou de connaissances techniques. Sauf cas très rare, ils savent tous les deux que j’utilise un logiciel qui personnalise mes courriers.

C’est donc une question d’Attitude : Juliette joue le jeu de l’Effet Barnum, alors que Roméo refuse d’être de connivence dans ce qu’il considère comme une «supercherie», une «ficelle», une «astuce».

Bien évidemment, cette Attitude ne s’arrêtent pas à l’Effet Barnum. C’est l’ensemble des techniques que j’utiliserai qui subiront le déni de Roméo, et qui provoqueront la complicité de Juliette.

par exemple, si j’utilise une technique qui fait appel à la métaphore, le premier réflexe de Roméo sera de la tourner au ridicule, alors que Juliette s’en délectera et trouvera des pistes intéressantes en renforçant la métaphore. De même si je fais la proposition de fermer les yeux pour faire appel à son imaginaire, Roméo tentera d’esquiver la technique, tandis que Juliette plongera volontiers dans un état de conscience modifié

Roméo ne s’avouera pas forcément qu’il refuse de participer. Si je lui demandais pourquoi il ridiculise ma métaphore, il répondra qu’il a très bien compris le message, mais qu’il faut bien s’amuser un peu… De même, en gardant les yeux ouverts au lieu de suivre ma proposition d’imaginer les yeux clos, il se dira qu’il est tout à fait capable de faire appel à son imaginaire sans fermer les yeux !

Bien évidemment, Juliette profitera mieux de ce programme que Roméo, et ce, pour une seule raison :

Elle joue le jeu ! Elle sait parfaitement qu’elle est face à une technique, et elle en profite. Elle fait comme si ce courrier s’adressait à elle personnellement.

 

De ce fait, lorsque je terminerai mon article par une invitation à laisser un commentaire, Juliette se sentira invitée personnellement. Elle trouvera un témoignage, une évocation, une idée, un complément… Peu importe ! Elle a compris que commenter les messages qui la touchent fait partie du processus d’auto-coaching.

Quant à Roméo, il se dira que vu que j’écris à une foule, une partie de la foule répondra et ça me suffira… Il sait pourtant qu’en formulant son commentaire, c’est lui qui bénéficiera le plus de sa réflexion et de sa formulation. Mais il ne veut pas jouer le jeu, alors il se fait croire que c’est à moi que bénéficient les commentaires, et il compte sur «les autres» pour satisfaire mon égo.

Un scoop !

Beaucoup de gens pourraient penser qu’en affirmant que l’Effet Barnum fait partie de mes techniques et en donnant des exemples (comme celui de mon logiciel de personnalisation d’e-mails), je me tire une balle dans le pied ! Un peu comme un magicien qui révèle ses tours. Je risque donc de perdre quelques Juliettes, qui désormais, ne se prendront plus au jeu…

Et c’est la que beaucoup de gens se trompent… Quand on est de type Juliette, le fait de reconnaître une technique n’en annule pas les effets. Bien au contraire, Juliette sera ravie de nommer la technique qui la met dans l’action ! Il est même probable qu’elle commence son commentaire par :

Bravo Stéphane pour ta maîtrise de l’Effet Barnum. Je ressors de cette lecture avec le sentiment que tu as écrit cet article rien que pour moi et voici les actions que je vais mettre en place à partir d’aujourd’hui […]

Et il y a un ++ derrière tout ça : Juliette se surprendra à utiliser l’Effet Barnum elle aussi, et ce sera naturel. Aussi naturel que son niveau d’acceptation. Roméo, lui devra faire beaucoup d’efforts s’il devait utiliser cette technique, puisqu’il en refuse les bénéfices.

Alors certes j’ai plein de techniques, de ficelles, de stratégies, et j’avoue volontiers les expérimenter sur toi… Mais lorsque je le fais avec mes trois filles et que je prononce :

– Ma fille, je t’aime !

J’ai beau utiliser l’Effet Barnum, je suis sincère avec toutes les trois.

De même, lorsque je te dis (par exemple) que ton commentaire me sera précieux, j’ai beau utiliser l’Effet Barnum, je suis sincère avec les 87 personnes qui reçoivent mon message.

A++

Stéphane SOLOMON