A propos de la Magnition
Ma fille ainée devait avoir entre 6 et 7 ans. Ma sœur, qui travaillait au marché, a décidé de faire un crochet par la maison en n’oubliant pas le sacro-saint «cadeau de tata». Une sorte de rituel à l’attention de mes enfants.
Si Oriane, ma cadette, fait un énorme bisou à sa tante rien qu’en découvrant le bel emballage, Lévanah commence par déballer son cadeau avant de se prononcer. Elle défait le ruban et décolle lentement les étiquettes, dévoilant le contenu sans abîmer le contenant avec un mélange de délicatesse et de fébrilité. Au moment où elle découvre le jouet, elle regarde sa tante dans les yeux et lui dit :
– Mais il est nul ton cadeau !
Elle laisse l’objet sur la table et retourne jouer dans sa chambre, laissant sa tante se décomposer lentement, prouvant ainsi que les humains sont biodégradables et que certains additifs accélèrent leur décomposition…
Je viens à son secours, lui expliquant que les enfants sont souvent spontanés, et qu’il ne faut pas qu’elle prenne cette remarque trop à cœur. Ce à quoi elle me répond que c’est aussi une question d’éducation !
Je confirme : permettre aux enfants de s’exprimer avec spontanéité, c’est une question d’Education…
Bon… je vais vous donner un scoop : si vous voulez avoir une discussion cordiale avec une personne de votre famille, ne critiquez jamais l’Education qu’elle donne à ses enfants ! Je ne parle même pas d’Amour ou d’Estime. Je parle juste de relation cordiale…
Etant de nature conciliante, j’ai expliqué à ma sœur qu’un cadeau pris au passage a peu de chances de plaire à Lévanah. Elle a beau n’avoir que 6 ans, elle est réellement passionnée par tout ce qui est artistique. Il y a donc un large panel de cadeaux possibles dans ce domaine, en commençant par une boîte de crayons de couleurs. Ca lui fera bien plus plaisir qu’une imitation de Barbie portant une trousse de secouriste.
– Mais ça coûte bien plus cher que des crayons de couleur !
– Tu crois qu’elle attache la moindre importance au prix ?
– Mais il faut lui apprendre que c’est l’intention qui compte !
– Quelle intention ? Tu as fait le tour des boutiques pour trouver un cadeau qui correspond aux goûts de Lévanah ?
– Je ne vais pas faire le tour des boutiques alors que j’ai un marchand juste en face. J’ai pris un truc que je trouvais mignon pour son âge. J’aurais bien aimé avoir ça quand j’étais petite…
– Quel dommage que ce marchand ne soit pas un libraire…
– Un libraire ? Mais quelle horreur ! Tu veux offrir un livre à un enfant de 6 ans ?
– C’est le moment : elle commence à apprendre à lire et elle adore ça !
– Non mais un livre ce n’est pas un cadeau !
– Tu plaisantes ?
– A l’école ils vont l’obliger à lire des livres. Elle n’a pas besoin de sa tante pour en rajouter !
– Je ne suis pas d’accord. C’est justement hors de l’école qu’on peut montrer aux enfants qu’il existe des livres qui les intéressent. Mais pour ça, il faut connaître l’enfant et trouer des livres à son goût. Un beau livre illustré sur la danse ou sur la peinture est tout à fait adapté dans le cas de Lévanah. Des images à explorer et des mots à découvrir, c’est un beau cadeau.
Ma sœur reste pour un thé et pour discuter un peu. Même si nous ne sommes pas d’accord sur beaucoup de choses, nous nous aimons et ça nous suffit pour passer de bons moments. Elle se lève pour partir. Les enfants viennent l’embrasser. Lévanah la serre fort dans ses bras et qui lui dit :
– Tu sais, je n’aime pas ton cadeau, mais toi je t’aime !
– Alors je peux le reprendre ?!
– Oui ! C’est un bon cadeau pour toi. Tu as dit que c’est ce que tu voulais quand tu étais petite, alors je te le donne !
Ma sœur est émue… Elle qui pensait taquiner la petite avec un brin d’ironie, se retrouve face un élan de générosité qui remplit un vide qu’elle n’a jamais su combler seule. Si elle n’avait pas eu d’obligations ce soir-là, je pense qu’elle serait restée une heure de plus. En fait non ! Je pense qu’elle serait restée une dizaine d’années de plus…
Je regarde ma fille avec admiration, puis je lui dis :
– A quel moment tu t’es rendue compte que tu as fait de la peine à tata ?
– Je l’ai vu tout de suite. C’est pour ça que je suis partie dans ma chambre. Mais je vous ai entendus parler, et après je suis revenue pour faire ma Magnition !
Bien qu’ayant une belle attirance pour les mots, je n’ai jamais entendu le mot «Magnition» de ma vie… J’hésite entre prendre un dictionnaire et demander à ma fille ce que signifie ce mot, puis j’opte pour la solution de facilité :
– Qu’est-ce que c’est une «Magnition» ?
– Quand tu fais de la peine à quelqu’un, tu peux trouver des mots qui lui font du bien…
– C’est ça la «Magnition» ? C’est une façon de demander pardon ?
– Oui mais il faut que tata oublie complètement ! Avec une bonne Magnition, elle ne se souviendra pas que je l’ai rendue triste. Elle ne se souviendra même pas que j’ai fait ma Magnition. Mais elle se souviendra quand-même qu’il faut arrêter de me faire des cadeaux bizarres.
– Waouw ! C’est puissant une Magnition ! C’est toi qui as inventé ça ?
– Non… Ça existe ! C’est juste le mot qui n’existait pas, alors je l’ai inventé. Tu crois qu’un jour il va exister aussi ?
– Je te promets qu’un jour il va exister !
Voilà… Il existe !
A++
Stéphane
Bonjour, à partir de quels éléments ou autres mots Lévanah a-t-elle inventé ce nouveau mot ?
Aucune idée. Je pense qu’elle a trouvé ça joli, comme beaucoup de mots composés avec des M et des N.
je me suis fait la même réflexion qu’Aurélia. Je pensais au mot “magnanimité” qui n’a pas ce sens du pardon, mais en vérifiant au dictionnaire, être magnanime, au-delà d’être bon, bienveillant c’est aussi avoir un comportement noble, de la grandeur d’âme.
Je trouve que pour le coup Lévanah en a fait preuve. Bravo à elle en tous cas. A 7 ans, je suis scotché. 🙂
Magnifique action ?
J’adopte ce mot de suite, 🙂
Plus sérieusement, j’aimerais avoir la même maturité et justesse pour réparer à chaque fois que je fais de la peine à quelqu’un, de manière alignée avec mes valeurs, authentique mais aussi attentionnée envers l’autre. Waou !
Oh oui ! Que j’aimerai également pouvoir réparer quand je blesse quelqu’un tout en restant authentique !
Il y a beaucoup à apprendre des enfants si on fait l’effort de les écouter. j’adopte magnition.
Une bonne façon de se racheter quand on a blessé quelqu’un sans le faire exprès.
A l’époque de mon enfance, on était conditionné pour ne jamais dire qu’un cadeau ne nous plaisait pas. Il m’en reste quelque chose. J’admire la spontanéité de Levanah et la façon dont tu la défends.
L’intention de trouver un mot qui donne sens à une action, à une situation, c’est une grande preuve de créativité et maturité ! Les enfants sont magiques pour inventer des mots !
J’adopte ce mot avec grand plaisir !
Dans mon Littré personnel, qui s’enrichit de jour en jour, puis-je ajouter Magnition : Action de magnifier une émotion, acte magique de redéfinition ?
Quel don et force de savoir revenir soigner une blessure de quelqu’un sans pour autant renoncer à son opinion et en l’exprimant librement. Plus que de l’assertivité. Beaucoup d’authenticité, j’imagine que le cadeau suivant a bénéficié d’une belle intention.
Merci pour ce mot qui pour moi derive de magnifier..car c’est ce que je veux vivre au quotidien !
Mais il comporte aussi pour moi ,la fin du mot contrition (s’excuser et battre sa coulpe)
Faire sa magnition : me rapproche de BA (bonne action) du scoutisme
Que de sens possible selon mon état d’esprit!
Ce parcours dans les langages de l’Amour me grandit et continue de m’inviter à magnifier ma Vie au présent du jour!
Merci à Levanah et à toi Stephane de donner vie et sens à ce néologisme…:Gratitude
Bonjour Stéphane
Waouh je me doutait que le thème du mois serait en résonance avec mes préocupations du moment,
mais la c’est fort !
La phrase qui me scotche aujourd’hui et que je ne peux que confirmer :
“si vous voulez avoir une discussion cordiale avec une personne de votre famille,
ne critiquez jamais l’Education qu’elle donne à ses enfants !”
“Magnez vous le derche” c’est de la Magnition aussi ???
C’est surtout la première partie de cet article qui m’évoque des choses. La tata qui tient à faire un cadeau mais sans vraiment y réfléchir. La partie sur les livres m’a hérissé le poil car ça montre qu’elle ne connait pas ses nièces et que petite j’adorais recevoir des livres (ça m’a rappelé un passage un peu douloureux où mon père m’a obligée à demander de l’argent plutôt que des livres à ma marraine pour Noël).
La partie du cadeau qui ne plait pas ça me parle ! J’ai l’habitude ! J’en ai eu en grand nombre quand j’étais enfant et ils sont restés dans le boîte et sont à l’heure actuelle en état neuf puisqu’ils n’ont pas servis… Toutefois je n’aurais jamais osé dire clairement que cela ne me plait pas ! Je pense que la personne qui me l’a offert s’en est rendu compte si elle a bien observé ma réaction.
Lévanah a bien fait de s’exprimer même si sur le coup elle a blessé sa tente, de cette façon elle n’a plus reçu ce genre de cadeaux. En serrant sa tente fort dans ses bras et en disant qu’elle l’aime elle l’a rassurer et a en quelque sorte prouvé que ses sentiments étaient sincères. Sachant que le cadeau plaisait à sa tente et qu’elle regrettait qu’on lui est jamais offert une poupée de ce genre, Lévanah était prête à lui offrir en retour !
Enfin ce texte démontre bien que suivant les personnes et leur éducation, elles n’utilisent pas le même langage de l’amour!
Faire un cadeau par obligation, reflète bien que ça n’est pas son langage.
Elle a voulu donner de l’amour à Levanah, qui n’a pas réagi de la manière attendue.
Levanah a su avec brio « rattraper le coup » en coordonnant un des langages à elle avec celui de sa tante.
Comme quoi on peut effectivement passer un un autre langage pour que l’autre se sente aimé, quand il y a eut un flop amoureux
Ah c’est une perle cet article. Imaginez que vous voulez expliquer le langage des cadeaux et introduire aussi le fait qu’il est aussi lié à l’intérêt pour ce que désire notre aimé (ce qui devrait toujours être le cas?) alors vous cherchez une anecdote puisée dans votre vécu que vous la racontez comme il faut. Le résultat est (c’est ce qui m’est arrivé) un grand sourire de joie, une sorte de frisson et de l’admiration pour ta fille Lévanah et cet article… Stéphane notre surdoué auto-coaching les collectionne! En plus, on a un bon ancrage avec le mot clé et magique Magnition, bravo ! Sentiments très nobles, leçon de vie stupéfiante voire édifiante. Merci, gratitude pour les autres pépites à tiroir que les commentaires soulignent.