Langages d’Amitié
En 2012, comme beaucoup d’entrepreneurs dont l’entreprise dépasse les 10 ans d’existence, j’ai vécu un contrôle fiscal. La contrôleuse a été particulièrement dure. Je ne sais pas ce qui animait réellement sa véhémence, mais elle demeure encore aujourd’hui, l’un de mes pires souvenirs. Il faut dire que son redressement a donné un coup fatal à mon entreprise, que je dirigeais depuis 1997. J’ai mis plus de 2 ans à déposer le bilan, pensant que je pourrais la sauver, puis je me suis libéré du joug des dettes que cette femme avait contracté en mon nom durant son court séjour dans ma comptabilité.
Pendant mes 2 années de lutte, j’ai préféré taire cette difficulté financière auprès de mes clients. Je savais que beaucoup d’entre eux en auraient profité pour faire baisser mes tarifs. On croit souvent que profiter de la situation d’une personne prise à la gorge est un acte volontairement cruel, mais il n’y a rien de plus naturel… Même des parents bienveillants ont tendance à accabler leurs enfants pendant qu’ils sont dans la peine ou la peur. Par exemple, un enfant qui se fait mal en tombant d’une balançoire se fera instinctivement réprimander à coups de :
– Je le savais ! Je t’ai dit de bien te tenir au moins 10 fois ! Tu vois ce qui arrive lorsque tu ne m’écoutes pas !
Cela vient du fait que notre subconscient sait que nous sommes bien plus influençables lorsque nous sommes dans l’émotion. Et comme créer de belles émotions volontaires n’est pas facile pour la plupart des gens (ça demande du temps et un certain talent), cette vulnérabilité soudaine devient une opportunité pour glisser une «leçon de vie»…
– J’espère que tu as compris maintenant ! La prochaine fois tu feras plus attention !
Les parents qui ont étudié l’Education Bienveillante savent retenir cette propension naturelle, afin de donner à l’enfant la seule chose dont il a réellement besoin sur le moment : du réconfort. Mais c’est loin d’être évident… Ça se travaille !
A l’âge adulte, si aucun travail de Développement Personnel n’a été fait, tout ceci se transforme et s’affine. Pour ne donner qu’un exemple récent, il y a quelques jours, j’étais invité chez un ami, et à un moment de la soirée, il avait besoin de ses lunettes, qu’il ne trouvait pas… Il a donc demandé à sa femme si elle les aurait vues, et elle lui a répondu avec une certaine efficacité dans la voix :
– T’as pas une deuxième paire ?
– Euh non…
– Ben tu devrais !
Pourtant, ils s’aiment ces deux-là…
Pour en revenir à la période de redressement de mon entreprise, il aurait été tout à fait possible qu’en apprenant mes difficultés, un client me dise quelque chose du genre :
– Ah la la ! Ca ne va pas être facile… Je serais vous, je baisserais mes tarifs pour remplir mon agenda !
Le problème est que souvent, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Ce ne sont donc pas eux qui confirmeront la théorie de l’agenda qui se remplit tout seul… Il sera toutefois heureux de profiter de la baisse, avec la conviction absolue d’avoir fait quelque chose de bien.
Si j’évoque ce comportement naturel, c’est pour montrer que malgré l’Amour, l’Estime ou le Respect que l’on peut avoir pour quelqu’un, le comportement souhaité par la personne affaiblie est rarement celui qu’on lui donne. Mais il ne faut pas y voir une mauvaise intention : le parent qui réprimande, l’épouse qui lance des pics ou le client qui donne des conseils qui lui profitent, partent d’une bonne intention : Rendre service…
Régis, ou l’art de rendre service
Régis a été mon premier employé. J’aurai l’occasion de vous raconter notre histoire, car elle reflète une excellente déclinaison des langages de l’Amour appliqué à l’Amitié. Régis fait partie de ces amis que l’on voit peu, mais qui au moment de se retrouver, donnent le sentiment troublant que notre dernière bise date de la veille.
Alors que je me débattais à tenter de sauver ma boîte, j’ai voulu rappeler à mes souvenirs mes meilleurs moment d’entrepreneuriat. Ma quête nostalgique m’a téléporté à l’époque où je travaillais avec Régis et ou tout nous souriait ! J’ai donc décidé de l’appeler pour prendre des nouvelles et me remplir d’Energie rien qu’en entendant sa voix. D’autant plus que je savais que son entreprise se portait bien et que dans ma situation, il était un modèle à suivre.
Là encore, je devrais évoquer une propension naturelle à combattre : lorsqu’une personne se sent mal, elle a tendance à s’isoler et à éviter la compagnie de ses amis qui pètent la forme… Pourtant, ces personnes débordantes d’Energie et donc d’Amour de la vie, peuvent partager une part de leur Bonheur à travers une simple poignée de main ou un joli jeu de mots. Lorsque les choses commencent à mal tourner, s’isoler est la pire chose à faire. La richesse se trouve ailleurs que dans son petit cocon…
Je contacte donc Régis, et je lui explique que j’avais envie d’entendre sa voix pour évoquer nos meilleurs souvenirs et me régénérer d’espoir. Je ne voulais pas me laisser abattre par cette faillite annoncée. Régis s’étonne de ma situation (ce qui est particulièrement valorisant) et au lieu de se laisser tenter par des phrases insensées du genre «si tu en es arrivé là, c’est que t’as dû faire beaucoup de conneries…», il me dit des mots si réconfortants, que je ne saurais les retranscrire, tant leur impact s’est transformé en une foule de sentiments liés au bien-être et au courage.
Régis n’est pas un « beau parleur», mais ce jour-là, il a su me dire les mots les plus justes qui soient. Puis, comme un magicien qui sort un lapin de son chapeau, il me dit :
– Dis-moi, je vais avoir besoin de migrer mon serveur d’applications vers le cloud, parce qu’il commence à me coûter bonbon ! Et je dois aussi renouveler certains modules de mon application, parce qu’ils ont le look d’une page de Minitel. Tu sais encore faire ça ?
– Oui ! Même si j’ai commencé à lever le pied sur l’informatique pour devenir coach, j’ai gardé ma passion pour l’informatique.
– Alors c’est pour toi ! Ca fait plus d’un an que je procrastine, ça veut dire que ce n’est pas à moi de le faire. Et je ne vois pas qui d’autre que toi pourrait le faire aussi bien…
Le lendemain, je me présente chez Régis, faisant connaissance avec sa petite équipe. Il m’explique comment il travaille, et nous confirmons que je suis l’homme de la situation. A la fin de la journée, il me fait un chèque de 5.000€ d’acompte… Je balbutie :
– Euh… C’est beaucoup !
– Pourquoi tu ne factures plus 500€ la journée ?
– Si…
– Tu es là pour 20 jours ! Je te paie la moitié à la commande, et l’autre moitié à la fin de ta mission. C’est toujours comme ça qu’on fait !
– Oui mais je pourrais te faire un prix d’ami
– Oh non… sois gentil, pour moi un prix d’ami ça vaut le double, et ça va m’obliger à appeler mon comptable…
Nous sourions tous les deux. Il me serre la main en me laissant 3 jours pour m’organiser. Je sors de ses locaux et je laisse glisser une larme, puis deux, puis trois… et j’y ajoute celles qui coulent au moment où je vous termine cette écriture…
Je terminerai donc par ces mots qui ne sont pas les miens mais qui appartiennent au monde depuis des siècles :
Qu’un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur*
De les lui découvrir vous-même.
(Jean de La Fontaine – Les deux amis)
A++
Stéphane
La conclusion de la fontaine c’est exactement source de frustration pour moi. J’ai parfois envie qu’on me comprenne sans expliquer, Surtt quand ça touche à l’émotionnel. Et je me pose maintenant la question : est ce que moi je cherche à comprendre l’autre?
L’amitié a parfois besoin d’être ré-explqueé à nos amis. Par exemple; Si Fred envoit un sms et que la réponse ne vient pas assez vite, il s’inquète, il envoie un deuxième sms plus tard avec une demande pressante de réponse pour être rassuré. Le lendemain il appelle au téléphone, et essaie encore et finit par laisser un message vocal carrément inquiet. Si ça se prolonge, il envoie des emails, switch sur WhatsApp.. s’il n’obtient toujours rien, il craint le pire, le pire c’est un ami qui s’en fout, qui finalement n’est pas un véritable Ami. Il s’attriste et en prend ombrage… Quand je reviens sur la planète Internet et voit qu’il a essayé de m’appeler (sans écouter les messages et autres missives), je lui dit “alors tu as essayé de me joindre, comment ça va?”, il exprime sa déception que je perçois et là il me faut lui rappeler un truc, dans le langage de l’Amitié: Tu sais Fred, ça fait 30 ans qu’on se connait et tu es mon Ami. Tu pourrrais me faire une vacherie, dire quelque chose de déplaisant, bouder, ne pas répondre.. je n’oublierai pas d’abord que nous sommes Amis et que tu dois avoir tes raisons d’agir ainsi à cause d’un très bon motif que je connaîtrai plus tard. Donc sache que quoi qu’il se passe je me rappelle d’abord que nous sommes Amis. Si tu craignais que je ne le sois plus c’était une erreur, rassure toi et stp la prochaine fois rapelle toi de ça!
C’est avec une grande émotion que ce texte raisonne. Je vais y réfléchir longuement et longtemps…
J’ai décidé de m’isoler pour colmater les brèches et crevasses, fortifier, renforcer, mes bases familiales, professionnelles associée à mon époux (toujours bénévoles depuis 3 ans) en ayant choisi de supprimer toutes les chèvres de ma vie. Mon fonctionnement étant de fuir ne supportant pas le conflit, j’ai su être un magnifique outil pour des tiers de passage avec le sentiment saboteur d’être malmenée à demeure et au travail, j’ai su être si peu juste de par ma mauvaise perception. Et avec du recul, “mais qu’est ce je me marre” ! “À Dieu crédulité, naïveté et actions salvatrices disproportionnées… merci l’observation, le détachement, la prise de recul, la neutralité et la justice et la justesse”
D’une épine au bout du doigt j’ai eu su sauter dans le buisson d’orties à pieds joints les yeux bandés en toute volonté !
Puis comme dirait un grand sage dirait “un ange passe”…
Comme si bien cité “Cela vient du fait que notre subconscient sait que nous sommes bien plus influençables lorsque nous sommes dans l’émotion. Et comme créer de belles émotions volontaires n’est pas facile pour la plupart des gens (ça demande du temps et un certain talent), cette vulnérabilité soudaine devient une opportunité pour glisser une «leçon de vie»”
La vie à venir me dira si j’ai fait les bons choix. Il y a certains mystères qui trouveront lumières, j’ai conscience que dans ce texte il y a mine de pistes éclairantes !
Merci de faire parti de mes précieux et talentueux “amis”.
C’est étonnant comme nous sommes nombreux à nous enfermer dans notre cocon lorsque ça ne va pas. Mon plus gros enfermement a été après le décès de maman et il m’a fallu un long moment pour ouvrir à nouveau la porte.
Depuis je suis plus sensible à ce genre de période chez les autres, car j’avais tout de même envie qu’on vienne à moi sans oser aller vers les autres. Je tends des perches.
D’ailleurs hier une amie l’a attrapée et m’a longuement parlé. Elle vient de perdre son papa dans des conditions pénibles et au lieu de s’enfermer elle a senti qu’elle pouvait m’appeler. Je me suis sentie plein de Reconnaissance pour avoir appris à tendre des perches. J’ai pu allégée mon ami quelques instants et je sais que ça n’a pas de prix.
Quelle belle preuve d’amitie et quelle delicatesse pour t’aider financierement sans t’humilier ! Les gens capables de se mettre dans la peau d’autrui sont rares et c’est dommage car toute notre vie sociale et même les relations internationales en seraient transformées.
Le parent qui réprimande, ou l’épouse, en mode pic ou réflexe, suite à une chute ou une mauvaise note ou un manque de prévision, j associe cela comme pouvant être de la peur puis de la colère envers soi-même, de ne pas avoir su anticiper, protéger, faire comprendre à temps pour éviter le désagrément. Donc ok, l’impact est négatif et dans ces cas, pour les deux !
Quant aux deux amis, leur approche me semble plus mâture, ou qu’au contraire le langage du coeur a été le plus rapide. Spontanément, j aurais eu envie d’entendre mon ami, mais plus j’aurais laissé passer de temps, plus j’aurais réfléchi pour finalement renoncer en ne voulant pas être de mauvaise compagnie, ni en voulant faire croire que je demande de l’aide. Difficile de demander, c’est une force de trouver une solution pour éviter à son ami cet effort.
Votre échange parait naturel et pourtant les réactions du parent le sont aussi. Faut-il apprendre à bien communiquer ou désapprendre à mal communiquer pour laisser parler le naturel ?
Pour avoir été aussi dans la situation d’aidant, ce n’est pas simple de le faire avec le tact nécessaire pour que l’autre accepte sans fuir, s’isoler, sans gêne. Malgré la bienveillance de ton ami, tu aurais pu aussi te sentir agressé et résister. Un jeu de longueur d’ondes qui se joue mieux à deux.
Cette dernière remarque me donne un cas pratique pour mon “job”, merci !
La juste attitude de cet ami est riche d’enseignements.
De même qu’ une simple présence discrète peut être plus bénéfique qu’un discours inadapté.
Je viens en retard (problème de boîte mail) mais je viens en paix !
Je ne savais pas que quand on procrastinais quelque chose trop longtemps, c’est que ça n’était pas à nous de le faire !
Je pensais qu’on devait faire les choses pour soi et pour s’auto satisfaire ? Donc pour s’aimer ?