Des gauchers très contrariés

En 1986, la revue «Nature» publia la conclusion d’une étude menée par deux scientifiques (Stanley COREN – Canada – & Diane HALPERN – USA -). Cette étude, basée sur divers recensements à travers le monde, démontra que l’espérance de vie des gauchers était inférieure de 9 ans à celle des droitiers !

66 ans d’espérance de vie pour les gauchers, 75 ans pour les droitiers !

Il fallait trouver une raison. De nombreuses théories, liées à différentes causes de mortalité sont alors apparues :

  • Le fait d’être gaucher serait lié à une faiblesse du système immunitaire… Mais aucune preuve scientifique n’a été apportée à ce jour.
  • La lutte quotidienne pour s’adapter à un monde fait pour les droitiers serait éprouvante, au point de réduire la longévité des gauchers… C’est encore difficile à prouver.
  • L’organisation spatiale de nombreuses machine et outils provoqueraient davantage d’accidents. Par exemple, en voiture, le fait que le levier de vitesse se situe à droite, pourrait entrainer des maladresses du « bras faible », et donc davantage d’accidents de la route… Toujours pas prouvé !
  • Euh… Alors ça viendrait du fait qu’en utilisant sa main gauche, on sollicite des tendons, des nerfs et des muscles qui se situent du côté gauche, donc près du cœur : un organe vital, qui s’use avec le temps ! Euh… Non plus !…

C’est ennuyeux ça… Qu’est-ce que ça pourrait bien être ? Il faut bien une raison ! Parce que les chiffres ne mentent pas : chez les enfants de 5 ans, on trouvait 14% de gauchers, et à partir de la cinquantaine, ce taux baissait drastiquement jusqu’à atteindre un niveau résiduel chez les octogénaires…

Le facteur humain

Il faut que je vous parle de ma mère : elle est ambidextre ! Ca veut dire qu’elle se sert aussi bien de sa main droite que de sa main gauche. Un soir, quelques semaines après avoir lu cette étude, j’ai demandé à ma mère à quel âge elle a été diagnostiquée ambidextre, et sa réponse me stupéfia :

– Je ne suis pas née ambidextre. J’ai été diagnostiquée gauchère au moment de rentrer à l’école, mais comme dans les années 50 ce n’était pas bien vu, mes parents ont éduqué ma main droite suite au conseil du médecin de famille. Je suis donc une « gauchère contrariée »… Mais j’ai eu plus de chance que l’une de mes voisines, qui a vécu une partie de sa vie avec la main gauche attachée derrière le dos. Ca se faisait beaucoup à l’époque, mais mes parents trouvaient ça cruel. C’est pour cette raison que ma voisine est devenue droitière, et moi ambidextre.

Etonnant ! Et ce que je vous raconte date d’il y a 80 ans à peine. Imaginez la situation des gauchers (et de leurs parents) au début des années 1900 ! Si vous vous documentez un peu, vous lirez que le sentiment qu’on alimentait à leur égard se situait entre le mépris et la tolérance.

J’ai donc eu l’idée de poser cette question à ma petite maman :

– Lorsqu’on te demande si tu es gauchère ou droitière, tu réponds quoi ?

– Je réponds que je suis droitière. C’est mieux…

– Pourquoi « mieux » ?

– Parce que dans ma tête, c’est toujours un problème. J’ai été éduquée comme ça étant petite. Même les médecins et les instituteurs considéraient que les gauchers avaient moins d’aptitudes physiques et mentales que les droitiers. Mes parents m’ont toujours obligée à dire que j’étais droitière pour me protéger. Et quand je passais des examens médicaux, je me comportais comme une droitière.

– Donc tu fausses les statistiques : Quand tu as commencé à apprendre à écrire, tu faisais partie des gauchères, et maintenant, tu fais partie des droitières… Ca fait une gauchère de moins !

– Et une droitière de plus !

– Eh oui…

——

Lors de l’étude de 1986, la plupart des gauchers octogénaires interrogés ont tout simplement menti ! Ils ne risquaient plus rien, mais toute leur vie, ils ont dû se protéger en mentant et en s’entraînant pour se comporter comme des droitiers face à une autorité. C’est ce que révèlent des études plus récentes : le pourcentage de gauchers ne diminue pas avec l’âge. Les données de COREN et HALPERN étaient fausses.

Cependant, la CROYANCE selon laquelle les gauchers vivent moins longtemps que les droitiers subsiste (avec parfois des théories fumantes sur les causes). J’en entends parler régulièrement.

Il est plus facile de contrarier un gaucher qu’une Croyance…

Les Croyances , en particulier celles qui ont tendance à diminuer l’Estime de Soi, sont explorées dans les séances de coaching. Elles déterminent le sens de nos comportements. C’est la raison pour laquelle, vous trouverez une multitude de citations qui vous amèneront à changer vos Croyances pour changer votre destin ! L’une des plus célèbres est celle de Mark Twain :

Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.

Croire en des inepties ne serait pas au centre des préoccupations des professionnels de l’aide, si la croyance était impuissante face à la réalité. Mais on constate que souvent, le fait de croire fermement en quelque chose crée une réalité conforme à la croyance. On appelle ça «une Croyance autoréalisatrice» ou encore «une prophétie autoréalisatrice» : le fait d’y croire provoque une série d’actions qui finissent par rendre la croyance réelle.

Evidemment, un homme qui croit que la terre est plate ne rendra pas la terre plate… Mais s’il est convaincu que sa femme le trompe et qu’elle finira par le quitter pour vivre avec son amant, il va devenir tellement soupçonneux, malheureux, insupportable… qu’il finira par se retrouver seul, même si sa femme était un modèle de fidélité. C’est son comportement (basé sur une fausse croyance) qui réalise la prophétie !

On pourrait croire que la Croyance sur la longévité des gauchers persiste, parce qu’elle est issue d’une étude scientifique. Mais en pratique, on constate que la profondeur d’une croyance ne dépend pas d’arguments concrets, mais de l’émotion qu’elle a généré au moment où elle s’est enracinée dans le cerveau. De même, pour déraciner une Croyance, les arguments logiques sont rarement suffisants. Il convient de les associer à un processus émotionnel.

C’est pour cette raison que je vous ai parlé de ma petite maman… Il paraît que ça ne se fait pas sur un lieu professionnel comme LinkedIn, où beaucoup de gens se sont faits tous seuls !

Or mon but n’est pas de ridiculiser deux scientifiques (même s’ils ont été particulièrement concons…), mais de faire disparaître des croyances résiduelles, afin d’augmenter la longévité de quelques gauchers infectés par une légende d’automne.

Et si vous partagez cet article, vous en ferez autant.

J’y crois dur comme fer !

A++

Stéphane SOLOMON