Un échange qui change tout

Madame L. était ma prof de français en 3ème.

Un jour, en plein cours, je lui ai demandé si je pouvais aller aux toilettes et elle m’a répondu que ça pouvait attendre ! Alors j’ai attendu… Au bout de 5 minutes, j’ai sorti un Mars de mon sac, et j’ai mordu dedans comme un sauvage…

Madame L. était stupéfaite, autant que mes camarades de classe… Quelle audace ! Elle prend mon carnet de correspondance et le pose sur son bureau le temps de terminer son cours. Lorsque je viens récupérer le carnet, il n’est pas encore rempli. Le stylo en main, elle me demande :

– Dites-moi, Monsieur SOLOMON, à votre avis, vous méritez combien d’heures de colle ?

– Au moins 4 pour avoir mangé un Mars en classe, et 10 de plus parce que je ne me suis pas arrêté lorsque vous avez pris mon carnet !

Madame L. me regarde comme on observe l’idiot du village… Je pense qu’elle voulait être plus clémente, mais face à mon impertinence, je la sens prête à doubler ma peine !

Je poursuis en mode «avocat» :

– Sauf si vous tenez compte du fait que 5 minutes plus tôt je vous ai demandé de sortir… Donc je n’avais pas l’intention d’être insolent…

– Mais quel est le rapport entre cette barre chocolatée et le fait que vous vouliez aller aux toilettes ?

– Apparemment aucun…

– Alors, je vous en mets combien ?…

– Je suis diabétique Madame L… Je n’avais pas besoin d’aller aux toilettes, mais de manger quelque chose de sucré, vite !!! J’étais en hypoglycémie et je voulais sortir pour me soigner. J’ai attendu 5 minutes, mais je ne pouvais pas attendre une minute de plus.

Madame L. laisse tomber son stylo et change de ton…

– Mais pourquoi vous ne me l’avez pas dit ???

– Parce qu’il y a 2 ans, lorsque mon diabète s’est déclaré, je l’ai dit à tout le monde, et tout le monde m’a traité comme un grand malade, alors que je ne le suis pas 99% du temps. Les gens ne connaissent pas le diabète… Depuis que j’ai changé de collège l’année dernière, j’ai gardé mon secret. Maintenant on me regarde normalement : je peux avoir des copains, des copines, et même des heures de colle !

Madame L. me rend mon carnet. Nous entamons une discussion relativement longue, puis elle me laisse partir, libéré de toutes les charges qui pesaient contre moi.

Deux ans plus tard, pendant mes années lycée, j’ai décidé de retourner dans ce collège pour rendre visite à mes anciens professeurs. Lors de ma visite à Madame L., en pleine conversation elle ouvre son sac et en sort un Mars !

– Vous voyez cette barre de chocolat ? Elle a une histoire : depuis le jour où j’ai appris que vous étiez diabétique, j’ai décidé d’en avoir toujours une sur moi, au cas où vous oublieriez la vôtre… Et même lorsque vous avez quitté le collège, j’ai maintenu cette habitude au cas où j’aurais d’autres élèves diabétiques. Je n’ai jamais eu à m’en servir à l’école, mais j’ai déjà porté secours dans la rue à une dame qui faisait une hypoglycémie…

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Cet article est dans la continuité de mes vœux pour cette nouvelle année. C’est une sorte d’application pratique : tu peux voir qu’en l’espace de quelques secondes, le sale gosse qui méritait une punition a été gracié, et est même devenu l’initiateur d’une pratique salvatrice au-delà du duo qui nous composait.

Je n’étais qu’un gamin insolent, et je suis devenu une source d’inspiration.

Comment est-ce possible ? Madame L. a entrepris un dialogue proactif. Si elle m’avait puni sans ménagement, je ne m’y serais pas opposé, et elle n’aurait jamais compris mon comportement. Elle aurait gardé un mauvais souvenir de moi, et lors de ma visite 2 ans plus tard, je n’aurais pas toqué à sa porte pour la saluer.

Pire : je n’aurais jamais écrit cet article !

Alors imagine ce que tu pourrais faire, vivre, vendre, acheter, offrir, composer, produire… si au lieu de t’emporter contre une personne qui te contrarie, tu tentais de mieux comprendre la situation. Loin de moi l’idée de vivre dans un monde de Bisounours (j’en parlerai dans un prochain article). Mais souvent, il suffit d’accepter l’idée que quelque chose nous échappe pour pousser l’investigation plus loin, et ainsi, transformer un début de relation houleux en amitié durable.

Pour en revenir aux réseaux sociaux (c’est là qu’on aime tacler / insulter / punir sans retenue), avant de prendre les gens de haut, offre-toi le luxe d’une communication assertive. Tu découvriras peut-être une personne très différente de ce que ta première perception t’a livré.

Enfin, si une personne se montre très agressive en commentant ou en sous-commentant tes propos, commence par lui transférer cette publication, et propose-lui une discussion plus apaisée, à la lumière de ce que cette histoire révèle.

A++

Stéphane SOLOMON