Une tâche sur un habit de légitimité
Dans mon dernier article, lorsque je vous ai parlé de la professeure de piano de ma fille, je ne vous ai pas dit TOUTE la vérité. Pas pour la cacher, puisque je vais vous en parler aujourd’hui, mais parce que je trouvais intéressant de laisser une partie de cette conversation de côté pour la distinguer du reste. Parlons-en :
La faille
Lorsque la professeure de piano m’a annoncé qu’elle allait continuer ses cours par Skype, afin de permettre à ses élèves de progresser durant la période de confinement, j’ai senti tout au long de son discours une légitimité à toute épreuve. J’ai associé cette légitimité à son désir ardent d’être UTILE AU MONDE… C’est le fait qu’elle ne se plaigne pas de la situation, qu’elle ne se sente pas sous contrainte et qu’elle ne tente pas de me contraindre qui m’a donné ce sentiment d’alignement. Or, après m’avoir fait la proposition, elle a ajouté :
- Bien sûr, je vous ferai une petite ristourne, parce que la qualité de l’enseignement sera inférieure aux cours habituels…
Si j’en fais une histoire à part, c’est parce que cette petite tâche d’illégitimité est courante. Beaucoup de professionnels manifestent un manque de légitimité en réduisant leurs tarifs (ou en facturant moins cher que la concurrence). Dans ce cas, la raison que le professionnel donne au monde extérieur (aux clients) n’est pas forcément alignée sur son monde intérieur. D’une certaine façon, il se sent obligé de mentir.
On pourrait se dire que si ses tarifs lui permettent de continuer à vivre correctement, ce mensonge a peu d’incidence, puisque le dommage financier n’affecte pas sa vie. Or on sait aujourd’hui, qu’un mensonge, lorsqu’il est répété, peut devenir une vérité. D’une certaine façon, le mensonge hypnotise celui qui le profère et ceux qui l’entendent. Ainsi, la perception et les actions qui suivent ont tendance à se conformer au mensonge.
Prophétie auto-réalisatrice
Ce phénomène s’appelle une «prophétie auto-réalisatrice» : la prophétie se confirme, non pas parce que «le prophète» sait lire dans le futur, mais parce que les personnes qui ont été touchées par ses paroles modifient leurs comportements pour obéir à la prophétie. C’est là toute la force d’une Croyance : on y croit, donc on fait tout pour que ce soit vrai.
Dans ce cas, nous sommes bien d’accord que le dommage ne sera pas que financier. La qualité du service ne justifie la baisse du tarif, mais le fait de CROIRE que le service sera moins bon et d’anticiper le problème supposé par une baisse de tarif, risque d’altérer la qualité du service…
En commentaire, pourriez-vous me dire ce que vous feriez pour redonner à cette professeure sa pleine légitimité ?
Je paierais le tarif habituel sans même lui en parler. Je pense qu elle serait encore plus motivée pour être à la hauteur de ce qu elle veut être et du coup serait même encore meilleure.
J’aime bien ce que dit Danièle, et tout comme elle, je continuerai à la payer de la même façon mais je lui rappellerais la Confiance que j’ai en elle
Absolument ! Personne n’est responsable de la situation actuelle donc il n’y a pas de raison de baisser le tarif. Du moment que le travail est réalisé le mieux possible.
Si je comprends bien,
la baisse de tarif justifie la baisse de la qualité de service…
Ce que je retiens en arguments positifs :
1) je ne lâche pas mes étudiants dans leur progression (show must go on)
2) j’offre un temps à exploiter pour occuper une partie de journée à mes étudiants (cours + exercices)
3) je continue à entretenir un lien social riche entre un maître et son élève au travers de l’image (Skype)
4) j’enrichis et améliore ma pédagogie avec des cours adaptés aux outils numérique (PDCA)
Alors pourquoi baisser mon prix ?
Le face à face de 2 «pourquoi» ?
En ressentant le malaise de la professeure de piano et la baisse de prix envisagée et justifiée par une qualité moindre de la prestation d’enseignement, je me suis interrogé sur l’impact d’un «pourquoi» sur la légitimité.
Pourquoi la professeure de piano continue-t ‘elle son activité avec un outil numérique en renfort pédagogique ?
– est-ce alimentaire (mon cher Watson) ?
– est-ce la conscience supérieure de sa mission ?
– est-ce autre chose (elle est secrètement amoureuse de l’un de ses élèves et…) ?
Si je ne peux raisonnablement répondre à cette question car je manque d’informations, je peux essayer d’imaginer les 2 premiers «pourquoi» et leurs implications sur un système de pensée et sur le sujet qui nous intéresse ici, la légitimité. Je n’aborderai pas la troisième option qui pourrait être le début d’un roman.
Imaginons ici que sa première motivation soit l’intérêt supérieur de sa mission. Les moyens mis en œuvre pour satisfaire ce «pourquoi» vont prendre une valeur particulière. Ils seront sublimés par la mission.
Pour imager (pour les visuels), c’est un peu comme si la mission était un vent puissant, un élan qui permettrait à un cerf-volant, aux outils, aux moyens de s’élever grâce à la puissance de ce vent. Pour les kinesthésiques, vous pouvez ressentir la puissance de ce vent, comme une bourrasque, une tempête et tout ce qu’ils/elles peuvent entrainer. Pour les croyants, vous pouvez imaginer un dieu créateur (de musique) en action se faisant épauler par des anges.
Les moyens sont au service de la mission et la mission est primordiale. Le moindre petit moyen mis en œuvre permet à la mission de se réaliser. Le moindre petit moyen mis en œuvre devient alors un outil sublime de réalisation. La légitimité de mon action est absolue, rien, ni personne ne peut la dévaloriser.
« Bien sûr, je vous ferai une petite ristourne, parce que la qualité de l’enseignement sera inférieure aux cours habituels… » n’a pas sa place et ne pourrait être prononcé que par une programmation supérieure à celle de ma mission. Peu probable.
Pour le cas où la première motivation serait alimentaire, les moyens mis en œuvre seront au service de ces besoins « primaires ». Lorsque je prononce le mot « primaire », je pense à nos ancêtres hommes et femmes vivant dans les cavernes. Les besoins primaires sont bien sur physiologiques. Il me faut trouver de la nourriture et manger. Ils sont aussi des besoins de sécurité. Il me faut payer mon loyer pour continuer à avoir un toit, payer mes différents abonnements (Electricité, eau, internet, téléphone…).
Je peux remonter ainsi la progression des besoins présentée par la pyramide de Maslow. Il me semble qu’une professeure de piano, en temps normal et donc hors confinement, satisfait ses besoins primaires et considère donc comme acquise cette satisfaction. Elle peut donc, selon sa personnalité, avoir des besoins d’appartenance, d’estime de soi et/ou de réalisation de soi.
Lorsque le risque de pénurie financière montre le bout de son nez, les besoins primaires refont surface en conscience et obligent à des actions pour les satisfaire. Cette régression dans la pyramide peut causer de nombreux dommages psychologiques. Je pense par exemple à une baisse de l’estime de soi, comme un échec mal vécu.
Dans ce contexte, les outils mis en place pour la continuité d’une activité devenue alimentaire sont des outils mis en place au service d’une forme de régression. Il est alors très difficile de les valoriser intérieurement. La légitimité de mon action n’est plus transcendée par une mission qui m’élève mais par une mission de survie. « Bien sûr, je vous ferai une petite ristourne, parce que la qualité de l’enseignement sera inférieure aux cours habituels… » devient le reflet de cette régression dans la pyramide.
Je ne pose pas un jugement de valeurs sur la catégorie des besoins. J’ai suffisamment voyagé à travers le monde pour savoir admirer l’humain lorsqu’il sait sublimer sa vie et celle des autres pour répondre à ses différents niveaux de besoins et ce, même dans un environnement d’extrême pauvreté.
Cette inspiration, cette intuition exprimée dans ce commentaire n’est qu’une ébauche.
Cette inspiration, je veux la mettre au service de mes «pourquoi» et de ma légitimité.
Et comme je n’ai pas suivi la consigne (répondre à la question), je suis les pas de Danièle en lui versant surement une enveloppe supplémentaire pour le soutien apporté en des temps difficiles.
Pour rappel de vielles histoires de développement personnel :
“Combien vaut une bouteille d’eau alors que tu viens de traverser le désert et que de cette bouteille d’eau dépend ta survie ?”
Payer la professeure plus cher que prévu en la remerciant d’avoir fait un effort pour préserver son enseignement ?
L’implication de cette enseignante à trouver les moyens pour continuer à partager avec son (ses) élève(s) est une preuve de conscience professionnelle qui lui aura aussi demander du temps et organisation. Sa bonne volonté pour enseigner son art avec la juste mesure en fonction du niveau de l’élève, garder le lien pour continuer à évoluer et ne surtout pas régresser par l’abandon fait d’elle une enseignante méritant d’être rétribuée à sa véritable valeur. Peu importe la situation, les leçons sont présentes et probablement que son service sera encore davantage +/+, pour compenser la relation directe.
Dans le cas où une personne me facturerait de façon moindre une prestation déjà définie (durée montant) je payerai le montant initial prévu en observant le temps qu’elle “perd” pour compensation de la situation par leçon (sans calculer er tenir compte des temps de transport ou tout autre économie potentiellement faite….), et lui allouerai une enveloppe en parallèle pour la remercier de sa générosité, à donner en main propre.
Le cadre est redéfinit, l’objectif est maintenu, le service à pour même résultat, le service est dû et la bonne volonté récompensée.
Je ne sais pas si dans sa démarche elle a autant pesé le pour et le contre
Même si elle donne le meilleur d’elle-même le fait de faire un cours par écran interposé, c’est comme regarder un spectacle en live ou derrière un écran
La qualité d’écoute peut en pâtir
Mais je suis d’accord avec Danièle, je lui paierai normalement ses cours.
Je ne sais pas mais j’ai souvent (trop) fait ça…
1/ moi aussi je suis émerveillée par la capacité d’adaptation des personnes à cette situation inédite
2/ étant moi -même confrontée à cette situation car j’enseigne et pour assurer la continuité pédagogique nous avons du trouver des solutions , j’ai envie de dire à ta professeure de piano , qu’au contraire sa capacité d’adaptation mérite d’être rémunérée au tarif habituel et qu’elle va devoir déployer des trésors d’imagination pour continuer à délivrer son enseignement , je rajoute même que cette nouvelle façon d’enseigner sera riche de nouvelles pratiques qui permettront de dénouer des blocages de certains de ses élèves , développeront des nouvelles capacités des élèves
Donc aucun motif d’estimer que cet enseignement sera de moindre qualité au contraire il sera enrichi
L’enseignement à distance m’a obligée à être encore plus performante dans les exercices , plus rigoureuse car en face à face il est facile de corriger immédiatement qqch de mal exprimé , à distance cela devient plus compliqué et comme dans mon cas sans aucun contact avec les élèves
J’irai tout simplement sur un chemin pragmatique : la professeure essaie (à tarif normal) le cours de piano sous Skype, en y mettant toute sa bonne volonté, et si cela fonctionne bien, ce qui sera très probablement le cas, alors il n’y a plus de question à se poser. La preuve de la légitimité sera faite. Si cela demande des adaptations, elle seront trouvées rapidement. Je suis sûr qu’il y a moyen de gagner sur certains points si d’autres sont pénalisés.
La qualité de l’enseignement ne peut être inférieure puisque c’est toujours vous qui donnez le cours et ceci quelque soit le support : en face à face ou par skype. Il pourrait peut-être y avoir quelques soucis techniques mais rien de grave.