Alzhei-mère…

Hier c’était la fête de Mères, et hier j’ai pleuré…

Il ne fallait pas que je m’écroule devant les enfants, alors j’ai séché mes larmes en faisant les cent pas entre le salon et la cuisine. Mais au fond de moi je sanglotais… Ma femme a senti que quelque chose n’allait pas. Elle m’a donc demandé ce que j’avais.

Toujours en posture de «Sois Fort», je lui ai répondu :

  • C’est rien… J’ai juste envie de parler à ma mère…
  • Ah…

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours appelé ma mère le jour de sa Fête. L’année dernière, j’ai pu la joindre grâce à mon frère, Dany, chez qui elle habitait bénéficiant des soins qu’il pouvait lui apporter. Mais depuis quelques mois, nous avons décidé de la placer en institut.

Un institut spécialisé dans la maladie d’Alzheimer.

Dany, qui travaille à proximité, va lui rendre visite une à deux fois par semaine. Connaissant ma sensibilité, il ne m’appelle que lorsqu’elle va bien, et qu’elle peut échanger avec moi. Je le sais car il y est allé vendredi dernier, et lorsque je lui ai demandé pourquoi il ne m’a pas appelé, il m’a répondu :

  • C’était déjà très difficile pour moi. Alors pour toi…

Mon grand frère m’épargne les moments délicats. Je n’ai donc avec ma mère que des contacts agréables, et j’ai envie d’en partager un qui m’a particulièrement marqué :

J’étais en pleine discussion avec un client un jeudi après-midi lorsque WhatsApp m’a sonné. En général je raccroche, mais voyant que c’était Dany qui m’appelait, j’ai répondu pour discuter quelques précieuses minutes avec ma mère.

Elle a mis un peu de temps à me reconnaître (à 83 ans elle ne voit plus très bien), mais dès qu’elle a entendu ma voix, elle a répété, presque en chantonnant :

  • C’est Stéphane ♫, c’est Stéphane ♫

La joie qu’elle exprimait n’était pas uniquement liée au fait qu’elle était contente de me voir. Ce qui l’a rendue si heureuse, c’était de se souvenir de moi ! Je le sais car il y a quelques années, au moment où la maladie a été diagnostiquée, je l’ai surprise en train de parler toute seule dans sa cuisine.

  • A qui tu parles maman ?
  • Je ne parle pas, je prie… A chaque fois que j’oublie quelque chose d’important, je prie…
  • Ça t’aide à te souvenir ce que tu as oublié ?
  • Non… Mais je demande juste à D.ieu de faire en sorte que je n’oublie jamais mes enfants.

C’est pour ça qu’elle a chanté en me reconnaissant. Ce sont des louanges ! Le pacte a été respecté…

En revanche, se souvenir du prénom de ses 20 petits-enfants est devenu plus difficile, alors nous l’aidons un peu. Et ce jeudi-là, je lui ai juste demandé si elle se souvenait du prénom de mon fils ainé.

  • Eythan ! M’a-t-elle dit… Il s’appelle Eythan !
  • Oui Eythan est bien ton petit-fils. Mais il a un grand frère. Est-ce que tu te souviens de son prénom ?
  • Euh… Je ne m’en souviens pas. Tu sais que je suis malade ! Mon cerveau ne veut pas m’aider.
  • Je vais t’aider : il porte le nom d’un roi !
  • Un roi ?
  • Un roi que tu aimes beaucoup !
  • J’aime un roi ? moi ???
  • Oui. Tu me racontais souvent des histoires du roi…
  • David ! Il s’appelle David !
  • Oui !!! C’est super maman ! Tu t’en souviens ♫

Un ange passe, puis ma mère me dit d’un ton grave.

  • Il faut que je t’avoue quelque chose mon fils… C’est Dany qui m’a donné son nom. Pour être honnête, je ne me souviens pas que tu as un fils qui s’appelle David. Mais tu peux être sûr que je l’aime !

A ce moment, Dany s’approche du smartphone, et comme pour s’excuser, il me dit d’un ton amusé :

  • Y a rien à faire ! Il faut qu’elle soit honnête jusqu’au bout !

Sa mère s’empresse de lui répondre :

  • Evidemment ! Je perds ma mémoire… Il ne manquerait plus que je perde mon honnêteté !

Voilà l’Histoire… Une histoire qui me fait beaucoup réfléchir, car en tant que coach, je travaille beaucoup sur les Valeurs avec mes clients. C’est très important pour m’assurer que lorsqu’ils prennent des décisions délicates, ils sont en accord avec leur Identité.

Hervé TCHDRY, mon confrère et ami, a une belle métaphore concernant l’Identité : il dit que c’est un diamant, et que chacune de ses facettes est une Valeur. A l’image des pierres précieuses, chaque diamant est unique. Nous pouvons le façonner, mais rien ne peut changer sa nature profonde.

Je ne connais pas bien la maladie d’Alzheimer. Comme beaucoup de gens qui sont impliqués, j’en apprends tous les jours. Mais si je pouvais en parler avec un spécialiste, j’explorerais volontiers avec lui l’idée que même si la mémoire s’envole, le diamant continue de briller.

Bonne Fête à tous les diamants !

Stéphane SOLOMON