Les mauvais jugements et leur impact

En travaillant avec un client il y a environ six semaines, un concept qui m’est cher est réapparu sous un angle nouveau. J’ai eu envie de le partager avec mes lecteurs préférés.

Le «cas de coaching» qui suit concerne le jugement péjoratif, et la raison pour laquelle l’une des recommandations majeures en matière de Développement Personnel est d’éviter de critiquer. La plupart des livres proposent des réflexions sur le sujet, mais les auteurs évoquent surtout l’idée d’affiner sa bienveillance pour vivre en paix avec son prochain. Or ce qui est arrivé à mon client montre à quel point il est important de le faire aussi pour soi.

Oui… Si juger les autres défavorablement a un impact sur la personne jugée, l’impact sur le juge est bien plus terrible, lorsque celui-ci vit des changements.

Contexte

Mon client (nous l’appellerons Julien) m’a demandé de l’aider à reprendre ses activités au sein d’un club Toastmasters (club de prise de parole en public). Durant les deux années de covid, l’activité de son club a d’abord cessé, avant de reprendre en limitant le nombre de prestations. Julien a préféré céder sa place aux autres, et ne s’est pas prêté à l’exercice pendant 22 long mois.

Les interventions de Julien étaient souvent appréciées. Il pensait donc pouvoir reprendre facilement les défis fin avril, mais à sa grande surprise, il a annulé ses engagements 2 fois d’affilée. Bien sûr, il avait une flopée de «bonnes raisons» de le faire, mais ayant une bonne intégrité intellectuelle, il a reconnu que ses «raisons» étaient des prétextes. Il en a parlé à Damien, le manager de son entreprise. Celui-ci lui a recommandé son coach. C’est ainsi que je me suis retrouvé face à Julien.

Séance préliminaire

Si on prend les choses simplement et méthodiquement, manquer 2 représentations en public relève de l’Image de Soi. Je privilégie donc cette piste. Julien m’explique qu’il aime parler en public et qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Sa préparation se passe bien, il a hâte d’être sur scène, mais au dernier moment une chose soi-disant plus importante apparaît et l’empêche d’aller au Club.

Julien reconnaît ses actes manqués et ne fait pas comme si ces 2 rendez-vous manqués étaient de simples incidents. D’autant plus qu’il a le sens de l’engagement, et il sait à quel point ce trait de caractère a compté dans sa carrière.

Nous travaillons sur ses modèles (des personnes qu’il considère comme d’excellents orateurs). Si je n’en connais pas certains, il y a parmi ses choix des hommes de théâtre ou des humoristes plus populaires. Je demande à Julien d’énumérer les indices qui, selon lui, prouvent que ces personnes ont une bonne Image de Soi, et il cite des pistes intéressantes. Toutefois, je relève que tous ces hommes ont un point commun évident, et que Julien n’en parle pas.

J’évoque l’idée :

  • Tes modèles sont plutôt beaux-gosses. Je ne connais pas ceux qui font partie du club et que tu as cités, mais est-ce qu’ils sont, eux aussi, plutôt minces et d’allure sportive ?

Julien réfléchit, puis avec une légère hésitation qui ne semble pas liée à ma question me dit :

  • Euh… Oui…
  • Tu peux me trouver un modèle d’orateur plutôt grassouillet ?

Julien sèche… Après quelques longues secondes de silence, je vois qu’il reboucle sur le même bug. Il ne trouve pas un modèle ventripotent à son goût et semble avoir perdu 90% de son bagou. Il ne tente même plus d’habiller la conversation, et regarde le sol. Puis il me dit :

  • Damien m’a dit que vous étiez une pointure !
  • Merci… Mais Je croyais qu’on se tutoyait…
  • Ah oui, c’est vrai !
  • Qu’est-ce que tu penses d’Elodie Poux ?
  • Oh… Mais comment tu fais ça ?
  • Comment je fais quoi ?
  • La dernière fois que je me suis disputé avec ma femme, c’était à cause de son spectacle !
  • Tu n’as pas aimé ?
  • Je pense que j’aurais aimé parce que j’adore son humour. Mais j’ai complètement oublié la date, et je suis resté au bureau. Lorsque j’ai lu les 11 sms que ma femme m’a envoyé, je me suis demandé si j’allais rentrer ce soir-là…
  • Encore un acte manqué… Alors quel est le problème exactement ?
  • Tu le sais bien !
  • Oui, mais si c’est moi qui le dis, ça n’aura pas le même impact… Quel est le problème exactement ?
  • Le problème est que j’ai toujours pensé que les personnes qui n’entretiennent pas leur physique ne devraient pas s’afficher en public, surtout en tant qu’orateurs. Je suis très critique envers eux. Chacun fait ce qu’il veut de sa vie, mais lorsqu’il s’agit de monter sur scène ou sur une estrade pour s’adresser à une foule, chaque kilo de trop, ce sont des points en moins.
  • Tu as déjà retiré ces points en évaluant des orateurs des Toastmasters ?
  • Oui et non… Je sais que je suis très critique sur ce sujet. Donc je leur ajoute des points à la fin. Mais ce sont des points artificiels, une sorte de discrimination positive, parce que je sais que je suis très dur avec eux…
  • Combien de kilos as-tu pris depuis ta dernière prestation en public ?
  • Sept
  • C’est beaucoup ?
  • C’est énorme !
  • Si je te demandais de reformuler ton problème avec plus de précisions et en choisissant chaque mot avec soin, ça donnerait quoi ?
  • Je peux l’écrire avant de le dire ?
  • Prends ton temps…

Julien griffonne quelques mots sur un papier, barre certains passages, réfléchit, se relit, réécrit… Je vois qu’il a l’habitude de peaufiner ses discours. Au bout de 3 minutes environ, il me dit les yeux dans les yeux :

  • Mon problème est que depuis toujours, je juge de façon péjorative les orateurs qui ont de l’embonpoint. Mais ces derniers mois, j’ai pris 7 kilos, et en répétant devant le miroir, je reçois des décennies de jugements dans la tronche ! Toutes mes critiques me rebondissent dessus, et ça me met dans l’incapacité de me montrer en public. J’assure mes rendez-vous professionnels parce que j’y suis contraint, mais lorsqu’il s’agit de faire quelque chose pour moi, je trouve toujours un moyen d’annuler à la dernière minute.

J’attends quelques secondes… Julien rompt le silence en ajoutant :

  • Et je suis furieux !
  • Furieux contre qui ?
  • Contre moi !
  • Contre la personne qui a pris 7 kilos ou contre son juge ?
  • Contre son juge !
  • Cool !
  • En quoi c’est «cool» ?
  • Ta prochaine prestation est dans 16 jours. Je ne vois aucun moyen de te faire perdre 7 kilos en si peu de temps… Si tu étais furieux contre le grassouillet, il te faudrait 2 ou 3 mois avant de remonter sur scène. Mais puisque tu es furieux contre le juge, on peut travailler sur ses jugements.
  • Je comprends…
  • Comme tu es un type intelligent et intègre qui sait facilement se livrer, se remettre en question, exprimer ses ressentis, etc. Ça devrait s’arranger en 2 séances.
  • Des séances qui consistent en quoi ?
  • Dans un premier temps, on va laisser ta grossophobie de côté, pour travailler sur d’autres types de jugements. Ça va te permettre de te détacher émotionnellement du problème central. Ensuite, on verra différentes techniques qui permettent de se délester de ses jugements en donnant priorité à celles que tu utilises régulièrement, sans savoir qu’il s’agit de techniques. Enfin, on va revenir à ton objectif, et au juge qui te prive de ta liberté.
  • Ta dernière phrase est terrible, mais elle est bien choisie.
  • Bien… Nous allons nous revoir la semaine prochaine. En attendant, je te propose de collecter quelques expressions et citations en rapport avec le jugement ou la critique. Par exemple, si tu entends une personne dire «j’ai mis de l’eau dans mon vin», note l’expression pour m’en parler. Mais tu peux aussi chercher sur Internet celles qui te parlent le plus. Par exemple, j’aime bien celle de Jules Renard : «la critique est aisée mais l’art est difficile».

Julien est remonté sur scène le 6 juillet, après 2 séances de coaching et quelques exercices à pratiquer en solo (aussi simples que celui qui est décrit ci-dessus). Son objectif a donc été atteint et nous avons célébré l’évènement comme il se doit.

Cependant, Julien m’a expliqué que si durant sa prestation orale il était parfaitement à sa place, au moment des évaluations, il s’est senti particulièrement gêné. Si cette gêne persiste à la rentrée, nous allons y consacrer quelques séances. 

Que vas-tu faire de ça ?

Lorsque tu sens que tu n’avances pas dans tes projets, que tu manques à tes engagements ou que tu procrastines, il peut être intéressant de faire le tour dans tes dénigrements (même ceux qui semblent avoir disparu), car il est possible que tu reçoives régulièrement des messages contraignants de ces derniers.

Il y a encore 3 ans, j’étais très critique envers les propriétaires de chats (si toutefois on peut s’estimer propriétaire de ces petits félins). Je les trouvais bêeeetes, ce qui m’a bien sûr empêché d’avoir une relation aussi bêeeete lorsqu’un chat est apparu dans ma vie. Ce n’est pas l’envie de béatifier qui me manquait, mais mon juge intérieur me l’interdisait.

Aujourd’hui, il m’arrive de philosopher avec mon chat, et bien évidemment, mon regard sur «ces gens» qui parlent à leurs animaux a changé.

Mais je suis un professionnel du changement. J’ai des techniques qui me permettent de me confronter à mes zones d’ombre, et de faire face à la critique. Je sais que ce n’est pas facile pour tout le monde…

J’espère que ce «cas de coaching» aidera bien des lecteurs à se sortir de situations difficiles. Si c’est ton cas, ou si tu penses pouvoir aider un proche grâce aux éléments de cet article, je t’invite à me demander des précisions, et surtout à revenir témoigner des premiers effets dès qu’ils apparaîtront. Ca me fera plaisir d’apprendre que cet article a dépassé le stade de la curiosité et qu’il est Utile Au Monde.

A++

Stéphane SOLOMON