Le biais de substitution
L’autre jour, j’ai demandé à ma femme :
– A quelle heure tu auras besoin de la voiture demain ?
Et elle a répondu :
– Je vais prendre un Uber…
Tu vas peut-être me dire que la réponse est parfaite, mais d’un point de vue strictement logique, cette réponse n’a rien à voir avec ma question. Ma femme est partie en biais ! Et ce biais porte un nom :
Le biais de substitution !
Le biais de substitution est un raccourci mental qui permet de répondre à une question compliquée en la transformant en une question plus simple, mais différente de la question posée. Une fois la substitution faite, on répond à la nouvelle question tout en ayant l’impression de répondre correctement et clairement à la question posée.
Imaginons ce dialogue :
- Karine, tu n’as pas répondu à ma question
- Comment ça ?! Tu voulais savoir à quelle heure j’allais prendre la voiture et je t’ai dit que j’allais prendre un Uber !
- Exactement !
- Alors… Tu as ta réponse ! Fin de l’histoire !
- Mais pas du tout, tu crois que tu as répondu à ma question, mais tu as créé une autre question du genre «Est-ce que tu as encore besoin de la voiture demain ?». C’est un biais de substitution !
- Ma journée de demain est très compliquée à gérer. Donc j’ai simplifié les choses, et je t’ai répondu !
- Non, tu ne m’as pas répondu, tu as répondu à ta simplification…
- Tu vas me gonfler encore longtemps ? (NDLR : nous avons 34 ans de vie commune !)
- Bon… Excuse-moi, mais je suis en train d’écrire des articles sur commande à propos des biais cognitifs, et une de mes lectrices m’a demandé d’illustrer le biais de substitution.
- Et alors ?
- Il faut que tu me comprennes : la première demande concernait le biais d’ancrage, et j’ai pondu un article le lendemain. Le deuxième article, consistait à décrire l’Effet de Halo, et j’ai trouvé plein d’idées. Le suivant était sur l’effet Dunning-Kruger… et j’ai écrit un super article ! Mais là, j’ai Danièle qui me demande d’illustrer le biais de substitution et ça fait plusieurs jours que j’en chie ! Tu viens de me donner un super exemple. C’est ma façon de te remercier !
- T’es vraiment un relou avec ta Newsletter !
- C’est pas moi, c’est Danièle !
- Nan mais quel relou…
C’est pour cette raison que ce dialogue n’a jamais eu lieu. je lui ai juste dit «merci». (par contre ne me demande pas d’où me vient l’inspiration).
Mais avouons que transformer une question en une autre, et apporter une réponse à cette transformation tout en considérant que la réponse est bonne, c’est vicieux ! A l’image de tous les biais cognitifs, ça montre à quel point certains cerveaux sont troublés, des centaines de fois par jour !
Vraiment ?
A chaque fois que j’évoque les biais cognitifs, que ce soit en formation ou dans mes écrits, beaucoup de mes lecteurs ou mes élèves s’inquiètent en se reconnaissant dans les «travers» décrits. Pour eux, un biais c’est un bug de l’esprit, un manque total de contrôle, et c’est grave ! Certaines personnes nient carrément le concept des biais, préférant mettre ces comportements sur le compte de la fatigue. D’autres encore écartent l’idée qu’un moindre biais puisse prendre place dans leur cerveau et reconnaissent dans mes propos les réactions d’un autre (de préférence quelqu’un qu’ils n’aiment pas).
Mais à quel moment ai-je dit que les biais cognitifs, c’était mal ???
Dans ma série d’articles sur le sujet, j’ai toujours ironisé, allant parfois jusqu’à l’autodérision en décrivant mes propres biais. Il est vrai que je me suis un peu moqué des biaiseurs, mais c’était toujours bon-enfant. Et si parfois j’avertissais mes lecteurs sur un potentiel danger, c’était dans des contextes précis, mais jamais dans l’absolu. Car aucun biais cognitif n’est bon ou mauvais par nature. Les biais peuvent être salvateurs dans bien des cas. Pour ne donner qu’un exemple, je dirais que suivre son intuition est un biais ! Nos meilleures inventions ont germé dans des esprits géniaux, envahis par des biais cognitifs !
Il est vrai qu’un travail de Développement Personnel autour de tes biais te permettra de mieux te connaître et d’éviter des glissades systématiques sur des peaux de bananes visibles et prévisibles. Mais l’identification de tes biais pourra aussi t’amener à évaluer s’ils conviennent à la situation. Si oui, vas-y ! Agis de traviole pour l’amour de l’Humanité !
Une combinaison de biais peut même créer un personnage attachant. Si bien que si j’étais poète, je dirais que ce qui me séduit chez ma femme, ce n’est pas son visage parfait, ses seins magnifiques, ses hanches galvanisantes, ou ses jambes qu’aucun montage à base de knackies ne pourrait imiter… mais sa beauté intérieure constituée de tout un tas de caractéristiques lumineuses, parmi lesquelles ses biais cognitifs ! A chaque fois qu’elle part en biais, je suis traversé par une foule de sentiments qui confirment le choix que j’ai fait il y a 34 ans de me réveiller chaque matin auprès d’elle (sauf les nuits où je ronfle…)
Alors si cette série sur les biais a éveillé une quelconque gêne en toi, rappelle-toi que tes biais cognitifs ne sont pas forcément tes ennemis. Ce sont des raccourcis, des réflexes mentaux, qui font de toi un être unique et sublime. Un être qui prend parfois des décisions étranges, mais tellement vraies ! Tes biais peuvent t’amener à te tromper, mais aussi à te protéger. Ils font partie intégrante de ton intelligence, et aucune Intelligence Artificielle ne pourrait les simuler puisqu’à chaque fois qu’elle tentera de raisonner de façon biaisée, sa logique pure la ramènera vers sa condition de machine, là où tu brilleras pour tes qualités humaines.
Pour terminer, je vais t’avouer un truc : après réflexion, je pense que l’exemple de la voiture que j’ai donné au début de cet article n’est pas un biais. Karine a plutôt réagi avec intelligence et pragmatisme, libérant nos deux agendas d’une contrainte pesante. Mais j’avais tellement besoin d’un exemple de biais de substitution, que j’ai fini par céder à la facilité : au lieu de répondre à la demande de Danièle, j’ai répondu à côté de la plaque avec un exemple inapproprié.
Ce qui fait de cet article un véritable biais de substitution…
Quel cerveau !
A++
Stéphane SOLOMON