L’aversion à la perte
La semaine dernière, j’ai partagé avec toi une histoire que je t’invite à découvrir aujourd’hui sous un nouvel angle :
Petit rappel des faits concernant mon précédent article : je suis à Paris et je dois prendre un train à une heure précise pour enchaîner deux rendez-vous. Mon interlocuteur évalue la durée du trajet et en conclue que je n’arriverai pas à temps. Il l’affirme avec conviction. Je lui révèle un petit détail qui rend soudainement la chose possible. Sa prédiction s’écroule et il s’en trouve affecté à tel point qu’il me donne le sentiment que le fait que j’atteigne mon objectif l’attriste…
Je voudrais recadrer une fausse interprétation qui est souvent faite lorsque je relate cet épisode : Habituellement, cet homme est agréable, généreux, efficace, sympathique et particulièrement gentil… Comme toi ! Sa réaction est naturelle en la circonstance, et en creusant un peu, nous nous apercevrons qu’il n’est pas affecté par ma réussite, mais parce qu’il vient de perdre quelque chose de précieux : une conviction. C’est son aversion à la perte qui le fait réagir de façon négative.
L’aversion à la perte
Voici une autre histoire qui illustre ce principe plus en profondeur :
Hervé est Directeur Technique dans une grosse entreprise. Il doit faire l’acquisition d’un nouveau logiciel pour faire face à un problème de sécurité informatique et il fait une demande auprès du Service des Achats. Le responsable du service rechigne à lâcher les 5.000€ nécessaires, et Hervé se voit obligé de justifier cette dépense en démontrant que son achat est pertinent. Après moult échanges et quelques grimaces, Hervé finit par obtenir le devis signé…
Il demande à sa stagiaire de s’occuper de la commande et de paramétrer le logiciel dès qu’il sera livré. C’est alors que Gaëlle lui répond :
– Mais il suffit d’activer cette option dans le menu de configuration de notre système.
– Mais non ! La clef de cryptage dont nous avons besoin n’est pas installée en standard.
– Si si ! il y a eu une mise à jour la semaine dernière et j’ai eu la curiosité de regarder les nouveautés. C’est annoncé dans la première page de la doc…
Tout en parlant, Gaëlle entre dans le logiciel et montre à son tuteur que «le gros dossier de la semaine» peut être résolu en un clic de souris !
Sur le moment, au lieu de se montrer enthousiaste et de féliciter sa stagiaire, Hervé espère que Gaëlle se trompe et s’apprête à la voir se confondre en excuses. Il anticipe même (en pensée) quelques mots rassurants qui saurant la réconforter une fois qu’elle constatera son erreur.
Gaëlle coche la case, valide sa nouvelle configuration et lance une simulation… Tout fonctionne à merveille. Ça lui a pris 35 secondes-chrono ! Hervé tente quelques arguments de mauvaise-foi, mais ils sont tous contredits pas les faits. Il est dépité !
Ce comportement étrange ne vient pas de son caractère, car habituellement, Hervé est agréable, généreux, efficace, sympathique et particulièrement gentil… Comme toi !
Ce qui dérange Hervé, c’est de s’être trompé au point d’avoir perdu tout ce temps. Il aura également le sentiment de perdre la face en revenant vers Brice, le Responsable des Achats, afin qu’il libère la provision. Sans oublier le temps qu’il perdra la prochaine fois qu’il refera une demande d’achat. Brice va probablement lui rappellera cet incident et entrera à nouveau dans des discussions interminables. A ce moment précis, Hervé aurait préféré que Gaëlle n’ait pas trouvé cette solution…
Pourtan le bénéfice est énorme : le logiciel qu’il a failli acheter coûte 5.000€, et pour le rendre compatible avec son système, Gaëlle aurait passé plusieurs heures à tester différents processus en dérangeant Hervé régulièrement… Malgré le temps et l’argent brillamment économisés, il faudra plusieurs heures à Hervé pour qu’il se sente gagnant et qu’il félicite enfin Gaëlle. Pourtant, je tiens à le rappeler, habituellement, Hervé est une personne agréable, généreuse, efficace, sympathique et particulièrement gentille… Comme toi !
Hervé s’engouffre dans un biais comportemental appelé «aversion à la perte». On évoque souvent ce biais dans les contextes strictement financiers, mais c’est un tort. C’est exactement le même phénomène qui se produit lors d’une perte de Temps, d’une perte d’Energie, d’une perte de Confiance, ou comme nous l’avons vu la semaine dernière lors de la perte d’une Conviction. La réaction qui en découle est contreproductive, comme nous l’avons constaté par deux fois.
Comme toi…
Lorsqu’on observe ce genre de comportement à froid, on a tendance à mal juger les acteurs. Par exemple, lorsque j’ai livré ma première histoire sur Facebook (cf. mon précédent article), mon interlocuteur a été qualifié «d’idiot», de «rabat-joie» ou au mieux, de «pessimiste-né»… Je pense que si j’avais livré l’histoire d’Hervé au peuple-facebookien, il aurait été traité de «vieux schnock anti-jeune» (qui n’aime pas l’idée de se laisser dépasser par une stagiaire) ou encore de misogyne (puisque c’est une femme qui a trouvé la solution).
C’est pourquoi je veux rappeler que nous sommes tous sujets aux biais cognitifs. Alors plutôt que de juger ces personnages, considérons ces deux histoires comme des métaphores, et voyons de quelle manière nous pourrions nous en servir lorsque ces biais apparaissent dans nos vies…
Je commence :
Hier, j’ai tenté de consoler ma fille qui pleurait à chaudes larmes et qui ne parvenait pas à trouver ses mots pour me dire ce qui la tourmentait. J’ai consacré beaucoup d’énergie (d’empathie) à cette peine inconsolable, constatant qu’au bout du compte, elle pleurait parce qu’elle ne retrouvait pas sa Nintendo Switch là où elle l’avait laissée. Sur le moment, je me suis dit que j’ai dépensé beaucoup trop d’énergie pour rien ! Puis, j’ai vite pris conscience de l’absurdité de mes pensées : aurais-je préféré que ma fille m’annonce quelque chose de plus grave ? Quelque chose à la hauteur de l’énergie déployée ? Certainement pas ! Je suis un père agréable, généreux, efficace, sympathique et particulièrement gentil (et modeste)…
Que peut-on changer ?
Mais alors, me diras-tu, puisque tout le monde est sujet à ce biais, pourquoi en parler ? Même les coachs, qui connaissent pourtant bien ce phénomène, se laissent prendre ! On ne peut rien y changer. C’est du bavardage tout ça…
Eh bien si ! Il y a une chose que tu peux changer : c’est le temps de la prise de conscience… Mon premier interlocuteur ne s’est pas remis en question. Il le fera peut-être un jour… Hervé mettra plusieurs heures à féliciter Gaëlle (certains auront besoin de plusieurs jours). Quant à moi, j’ai immédiatement switché vers des pensées plus agréables : même si j’ai déployé beaucoup d’empathie pour une «histoire sans importance», je suis prêt à recommencer, car j’ai tout à y gagner.
Dès qu’Hervé a pris conscience qu’il était dans une situation d’aversion à la perte, il a tiré un trait sur ce qu’il a perdu jusque-là, et il a recommencé à gagner du Temps, de l’Argent, de la Confiance et de l’Estime…
Pour conclure
Il est possible d’éviter certains pièges, et bien évidemment, si tu sais comment t’y prendre, fais-le ! Mais à moins de rester immobile, certains pièges sont inévitables, on tombe forcément dedans. La bonne pratique consiste alors à en sortir le plus vite possible, pour te remettre dans la course.
Dans les prochains jours, tu verras qu’à différents moments ton «aversion à la perte» va se manifester. Comme nous venons d’en parler, tu la reconnaîtras, et il y a de fortes chances que ça te fasse sourire, et que tu trouves rapidement une solution de sortie. C’est tout l’intérêt de cette Newsletter.
Si tu veux aller plus vite, plus loin, plus haut, je te réserve de belles activités pour 2021.
Je te souhaite de très belles fêtes de fin d’année.
Stéphane SOLOMON
Je n’ai mis qu’une étoile suite à une erreur de clic! Désolé. La mise en perspective en vaut au moins 4! Bonne soirée
Tu as été trop perturbé par le prénom de mon personnage principal 😉
Merci encore Stéphane