L’idiot du village

Aujourd’hui nous allons découvrir l’histoire de Touride qui a lui aussi décidé de se rendre au Palais. Touride est un garçon attachant, mais depuis sa tendre enfance, il ne fait que cumuler des maladresse qui font de lui :

L’idiot du village

Touride était un jeune-homme de 18 ans qui habitait dans un petit village à l’extrémité du Royaume. Pour entreprendre son voyage il dût vendre la chevalière que son père lui avait léguée. Son sommeil fut agité de longues nuits, mais il finit par faire ce choix douloureux, n’ayant pas d’autres biens.

Malheureusement, son vendeur ne fut pas des plus honnêtes. Il lui a menti à propos de l’âge du cheval, et bien que le bel animal semblât en pleine forme au moment de la vente, il montra ses limites au bout de quelques tours de manège. Touride qui voulut s’engager dans quelques jeux sportifs à dos de cheval se ridiculisa aux yeux des habitants de son village. Il faut dire qu’il était  habitué à l’exercice : depuis sa plus tendre enfance, il ne se passait pas une journée sans que son entourage lui prouve qu’il était ridicule !

Il prouva encore son inaptitude à raisonner lorsque l’un de ses voisins lui dit :

– Ton vieux cheval ne vaut pas plus qu’une jeune mule !

Le lendemain, Touride échangea son cheval contre une mule et se risqua encore à quelques acrobaties. Cette fois sa monture se montra très énergique contrairement au vieil animal. Le problème, c’est qu’elle était têtue comme une mule…

Cependant, Touride avait un grand avantage sur tous ces gens qui l’étiquetaient : il ne savait pas que ses connaissances et ses compétences ne lui permettraient pas de trouver la direction du palais, alors il prit la route. Il ne savait pas que dans le cas improbable où il arriverait sur la grande place, il ne serait pas légitime de concourir, alors il prit la route. Il ne savait pas qu’il était incapable de gagner, alors il prit la route…

Comme son intellect ne lui permit pas de créer les verrous qui sont à l’origine d’une auto-censure, il se lança dans l’aventure, ce qui le démarqua de ses contempteurs à l’intellect sur-développé… Ceux qui savaient précisément où le palais se trouvait et comment s’y rendre, mais qui ne voulaient pas prendre le risque de subir une humiliation.

Avant de partir, il alla rendre visite à son amie Misete. La jeune-femme le soutenait toujours malgré ses infortunes. Misete était sensible, donc fragile, mais extrêmement courageuse. A maintes reprises, elle prit la défense du pauvre garçon lorsque ses camarades le malmenaient. A de multiples occasions, elle l’aidait à se relever et à continuer à affronter la vie. Peut-être le trouvait-elle attachant dans sa façon d’échouer, puis d’essayer encore… Un jour, alors qu’il pleurait seul près du ruisseau, elle alla le voir et murmura à son oreille :

– Tu échoues avec tant de poésie, que jamais tu ne seras ridicule à mes yeux… Un jour, tu poseras un point final sur cet interminable poème.

Misete a eu beaucoup d’amants dans sa vie. Elle avait même la réputation d’être frivole et instable. Certains la qualifiaient de femme de petite vertu, et de nombreuses femmes la soupçonnaient de vivre en vendant son corps. Mais jamais elle ne se livra à ce genre de pratique. Elle s’était même fait un point d’honneur à n’avoir qu’un seul amant à la fois. Ce qu’elle donnait aux hommes qui partageaient ses draps, c’était des instants de complicité intense, déconnectés du monde extérieur. En quittant la relation ces hommes se sentaient revigorés, enivrés, heureux, puissants… Même si la relation ne durait pas plus de deux semaines, ils gardaient ce Sentiment d’Importance à vie ! Il leur suffisait de repenser à ces quelques nuits d’étreintes inoubliables pour se recentrer, même des années plus tard.

Sa relation avec Touride était d’une toute autre nature. Peut-être parce qu’elle était de 14 ans son aînée. Peut-être parce qu’elle se disait qu’après la séparation, il garderait davantage en lui les souffrances de la rupture plutôt que les nuits d’enchantements. C’était ainsi : avec certains hommes la relation ne pouvait dépasser une tape sur l’épaule.

Le jour du départ, Misete offrit à Touride des vêtements neufs qui lui donnaient une belle allure. A l’abri des regards, elle le serra dans ses bras lui disant qu’elle était fière de sa décision et qu’elle croyait en lui ! Il posa sa tête sur son épaule et sentit une énergie puissante envahir son corps. Gêné, il relâcha l’étreinte. Après avoir échangé un dernier sourire avec sa bienfaitrice de toujours, il prit congé.

A quelques kilomètres de son village, un vieil homme lui demanda son chemin.

– Hélas, Monsieur, je suis sot ! Je ne saurais vous indiquer le bon chemin. Je ne sais même pas si je me dirige vers le palais.

– Mais vous n’avez pas l’air d’un sot ! Vous avez même l’air d’un homme doté d’une belle intelligence pratique. Il n’y a qu’à voir le choix de vos vêtements pour s’en convaincre.

– Ces vêtements m’ont été offerts, monsieur. Je ne les ai pas choisis. Voilà qui va réviser votre jugement.

– Mon jugement ne peut être révisé face à cette information qui ne change rien à votre intelligence.

– Pourquoi ?

– Parce que même s’ils vous ont été offerts, vous les avez acceptés. Beaucoup les auraient refusés ou s’en seraient débarrassé après la politesse. C’est donc votre choix ici et maintenant.

– Eh bien si vous passez près du village de Ducilire, évoquez-leur le nom de Touride, et les habitants vous confirmeront que je suis l’idiot du village !

– Monsieur, apprenez que l’idiot du village cesse d’être idiot au moment où il quitte le village… Montrez-moi la direction qui vous semble bonne et je la suivrai, car si votre Savoir n’est pas suffisant, je sens que je peux faire confiance à votre Intuition.

Touride, troublé par les paroles de cet inconnu, pointa soudainement du doigt un petit chemin. L’homme s’y précipita, le remerciant chaleureusement pour son aide. Puis il se retourna et lui dit :

– Au fait, vous êtes bien dans la direction du palais. J’en reviens… Et si vous avez un moment, passez voir Madame Hacoc. Elle vit sur le talus de la Noiveelart. Elle vous préparera à la compétition qui vous attend !

– Je n’ai plus le temps de me préparer. A dos de mule j’atteindrai le chateau juste à temps.

– Vous êtes donc encore face à un CHOIX. Soit vous continuez à vous laisser mener par votre tête de mule, soit vous acceptez l’aide de Madame Hacoc en échange de votre mule.

– Vous me demandez de perdre un temps précieux à écouter cette femme et à lui laisser ma mule en guise de paiement ? Soit vous êtes plus idiot que moi, soit vous voulez duper l’idiot que je suis…

– Je ne vous le demande pas, je vous le propose. Savez-vous faire la différences entre une demande et une proposition ?

– Maintenant que vous me posez la question, oui, je perçois la nuance.

– Si vous acceptez ma proposition, Madame Hacoc vous révélera d’autres nuances de ce type. Vous en aurez besoin pour le concours… Il est là votre CHOIX.

– Et comment ferais-je pour me rendre au palais sans ma mule ?

– En empruntant l’une des nombreuses diligences qui se dirigent vers le palais. Vous y serez en moins de deux jours…

– Je n’en ai pas le moyens .

– Les diligences sont gratuites

– Vous plaisantez ? J’ai vendu la chevalière de mon père pour cette mule !

– C’est écrit sur la missive, mais vous ne l’avez pas vu… Vous avez donc le CHOIX entre justifier votre action inutile par de nouvelles actions inutiles, ou changer votre destin en acceptant ces nouveaux possibles.

– Ne croyez-vous pas aux signes du destin Monsieur ? Ne croyez-vous plus en mon Intuition ? Si j’ai acheté une mule, c’est sûrement parce que c’est elle qui me mènera au chateau ! D’ailleurs, je n’ai pas voulu emprunter ce chemin, c’est elle qui m’y a forcé, et j’ai fini par me laisser porter. Elle a fait le bon choix. Pour moi…

– Vous avez CHOISI de vous acheter une mule pour entreprendre un si long périple ?

– A dire vrai non… J’ai d’abord acheté un cheval, mais comme tout bon idiot je me suis fait duper. Il était trop vieux ! Je l’ai donc échangé contre cette mule.

– Alors puisque vous croyez aux signes du Destin, j’ai une révélation à vous faire : Madame Hacoc ne peut monter à cheval. En revanche cette mule lui conviendra parfaitement. C’est pour cette raison que vous vous êtes fait duper et que vous êtes assis sur la fortune qui vous permettra d’investir sur votre victoire…

Touride réfléchit un instant et apprécia cette nouvelle vision du destin. Il remercia l’homme pour cet échange et se dirigea vers le talus de la Noiveelart.  Sa mule n’y opposa aucune résistance…

 

Même si je ne donne plus d’indications ou je ne pose plus de questions, je t’encourage à commenter cet article. Je suis sûr que tu as quelque chose à dire.

A demain,

Stéphane